Lors de sa présentation au salon de Genève en 1961, la Jaguar Type-E a littéralement fait l’effet d’une bombe. Belle à mourir, rapide comme l’éclair, technologique comme jamais, les réactions à son sujet ont fait écho dans le monde entier… La moindre n’étant pas celle de Enzo Ferrari qui la considéra alors comme la plus belle voiture au monde !
Depuis, 56 ans se sont écoulés et nous voilà aujourd’hui prêts à prendre le volant de cette icône automobile grâce au concours de LL Classic Cars qui distribue des véhicules anciens au Luxembourg. Notre exemplaire, qui y est exposé, a subi une restauration intégrale à l’Atelier des Coteaux. La preuve ? Notre Type-E est comme neuve et n’a parcouru que 500 km depuis sa cure de jouvence ! En route pour un essai hors du commun…
Peu de voitures peuvent se targuer d’une beauté aussi pure… surtout en version Mk1
Pureté des lignes
Avant toute chose, si l’on devait résumer la Type-E en un seul mot, ce serait son style à nul autre pareil. Que ce soit en version cabriolet, coupé ou 2+2, ses courbes effleurent nos yeux avec la douceur d’une caresse, celle de l’air glissant sur sa carrosserie aux formes de déesse mécanique. Ses lignes, imaginées par l’aérodynamicien Malcolm Sayer, ondulent avec volupté du bout de sa calandre béante jusqu’à l’extrémité de son pare-chocs arrière surplombant sa double sortie d’échappement qui jaillit de ses entrailles tel un prix de design. Peu de voitures peuvent se targuer d’une beauté aussi pure et c’est encore plus vrai lorsque l’on a affaire à la version Mk1, précisément celle de notre exemplaire qui date de 1965. Pour la reconnaitre, il suffit d’observer ses phares avant carénés par des coupoles et ses petits feux arrière positionnés au-dessus du pare-chocs ; les versions ultérieures ont dû les abandonner pour des questions d’homologation aux Etats-Unis… Le plus grand marché pour Jaguar qui y a écoulé près de 80% de sa production à l’époque.
Technologie de pointe
La réplique « Soit belle et tais-toi » pourrait s’appliquer à bon nombre d’automobiles mais certainement pas à la Type-E tant sa technologie la place à l’avant-garde des réalisations de son époque, jugez plutôt… Une cellule centrale monocoque dotée à l’avant d’un faux châssis tubulaire (surnommé « Tour Eiffel » pour ses formes biscornues) supportant son 6 cylindres en ligne en position centrale avant, des suspensions indépendantes à triangles superposés et des freins à disques assistés aux quatre roues (les disques arrière sont accolés au différentiel pour réduire les masses non suspendues), en 1961 c’est tout simplement inédit. Cela d’autant plus que Jaguar revendiquait une vitesse de pointe de 240 km/h. Impressionnant ! D’autres détails comme les superbes jantes à rayons chromées et écrou central finissent de nous confirmer qu’on est en présence d’une vraie sportive… Un constat qui est confirmé par le fait que la Type-E dérivait techniquement de la voiture de course Type-D, ce qui en faisait une des voitures de sport les plus performantes de son époque.
On monte à bord…
Pénétrer dans une Type-E est un moment particulier, surtout s’il s’agit de la version cabriolet pourvue de cette magnifique baie de pare-brise aussi fine qu’élégante… On y accède par ses magnifiques petites portes dont la découpe échancrée s’entrebâille pour dégager l’accès à bord. Ce faisant, elles nous dévoilent un habitacle où règnent le cuir, le bois et le chrome ; des matériaux nobles qui nous renvoient aux origines de l’automobile. La carrosserie sable métallisé de notre exemplaire se pare d’une sellerie cuir caramel qui se marie à merveille à la finition noire du tableau de bord et au volant en bois à trois branches chromées. En s’installant à bord, le détail qui surprend c’est l’absence de ceintures de sécurité ; c’est que malgré son état neuf, notre modèle date de 1965 ! Après avoir réglé siège et rétroviseur intérieur, on tente de faire de même avec son homologue extérieur, mais en vain. C’est alors que Laurent Lefebvre nous fait remarquer que la voiture vient tout juste de sortir de restauration et, qu’en dernière minute, il a décidé de faire monter le rétroviseur extérieur plus tard… Et de lâcher « elle est tellement plus belle sans » ! La qualité de cette restauration est telle que l’émotion nous envahi au moment de démarrer le 6 en ligne… Surtout ne pas l’abimer ! Clé de contact tournée, une pression sur le bouton du starter au centre du tableau de bord et… « Vroum » le moteur prend vie du premier coup sous le long capot que l’on contemple depuis cet habitacle exquis. Le ralenti est stable et son doux ronronnement nous promet de fantastiques instants à son volant.
C’est parti !
En parcourant les premiers kilomètres, on découvre un embrayage docile et des rapports qui s’enclenchent avec précision et facilité. La direction non assistée se manie avec aisance à travers le fin volant qui communique subtilement les informations de la route. Une fois la mécanique à température, on s’autorise à pousser les rapports pour découvrir le punch étonnant de ce moteur qui reprend sans broncher à tous régimes… pas de doute, les 3 carburateurs double-corps sont parfaitement réglés ! Si les sensations de conduite sont bien celles d’une autre époque, on est surpris par la rigueur de comportement dont fait preuve cette mamie ! En effet, notre Type-E affiche une tenue de route stable et dépourvue du flou habituel que l’on retrouve à bord des anciennes. On observe tout de même ce léger temps de retard caractéristique entre nos injonctions sur la direction et la mise en appui de la caisse (causé par les pneus à flanc haut, les suspensions souples et la relative rigidité du châssis d’époque) mais aucune trace d’imprécision liée à des silenblocs trop usés par exemple… Logique, elle est neuve !
Au gré des virages, nous commençons à faire corps avec cette formidable machine…
…et, petit à petit, nous décodons son équilibre et son caractère. Progressivement, il s’en dégage une sorte de signature sensorielle où s’entremêlent les odeurs ambiantes, le toucher de ses commandes, la poussée de ses accélérations et de ses freinages, tout comme la répartition des masses centrée sur son moteur que l’on devine travailler sur le faux châssis et la monocoque sous la contrainte des efforts communiqués par les trains roulants. Tenue de route, accélérations, freinage, tout respire l’homogénéité à bord de cette Type-E et l’on se dit que les sensations ressenties à son volant sont certainement fidèles à celles des exemplaires neufs qui sortaient d’usine dans les sixties. Un bel hommage à l’Atelier des Coteaux qui a su redonner vie à ce mythe automobile tout en respectant son identité… Un essai inoubliable !
Fiche technique
Photos: Igor Sinitsin – Texte: ADPF